Grandir avec une maladie valvulaire : le long parcours de Danny
À gauche, Danny Covey se rétablissant d’une chirurgie à 18 mois; à droite, Danny en 2017.
À Regina puis à Ottawa, Danny Covey a fréquenté l’école sans jamais avoir connu ses enseignants d’éducation physique.
En effet, Danny est né avec des malformations cardiaques complexes affectant ses valves aortique et mitrale. Il a subi trois grosses opérations avant l’âge de 16 ans. Donc, il n’a suivi aucun cours d’éducation physique.
« On me disait que l’enseignant était vraiment sympathique, mais je ne l’ai jamais rencontré, a expliqué Danny en riant. J’étais l’élève qui restait dans la classe pour dessiner. »
Ce n’est qu’un exemple des nombreuses répercussions de la maladie valvulaire sur la vie de Danny, depuis sa naissance. Maintenant dans la fin quarantaine, il a partagé son histoire et les leçons qu’il a apprises tout au long de son parcours.
Comment a-t-on diagnostiqué votre maladie valvulaire?
Quand j’avais à peine quelques mois, je me suis étouffé puis évanoui. Mes parents m’ont emmené d’urgence à l’hôpital, où on m’a réanimé. On passait alors que je m’étais étouffé avec de la nourriture. Cependant, ça s’est reproduit souvent : je m’évanouissais, j’arrêtais de respirer et je devenais bleu.
Mes parents ont consulté plusieurs médecins jusqu’à ce qu’un spécialiste à Saskatoon écoute mon cœur : il a détecté « un trille », soit le son d’une vibration. On a fini par déterminer que mes valves aortique et mitrale étaient atteintes – plus précisément, d’une sténose aortique sous-valvulaire et d’une sténose mitrale supravalvulaire.
Quels traitements avez-vous reçus dans vos premières années de vie?
À 18 mois, j’ai subi ma première chirurgie à cœur ouvert à l’hôpital SickKids de Toronto. À l’époque, c’était un traitement très expérimental. J’avais de faibles chances de survivre.
Les chirurgiens ont corrigé une constriction de ma valve aortique pour qu’elle puisse s’ouvrir. Ils ont aussi réparé ma valve mitrale pour en réduire le reflux sanguin. Contre toute attente, l’intervention a été un succès.
Après, la vie a suivi son cours pendant plusieurs années. Puis, à l’âge de 7 ans, ma valve aortique se resserrait à nouveau : j’ai commencé à souffrir d’insuffisance cardiaque congestive.
J’allais avoir besoin d’une deuxième chirurgie à cœur ouvert, que j’ai subie à 8 ans.
Malgré la réussite de l’opération, ma valve aortique tendait toujours à se resserrer. Donc, à 12 ans, on a essayé de l’ouvrir davantage avec un ballonnet. Ça n’a pas réglé définitivement le problème; ça m’a plutôt donné un peu de temps.
Ce temps s’est écoulé à 14 ans. Que s’est-il passé à ce moment-là?
J’ai subi ma troisième chirurgie à cœur ouvert. Cette fois, on a enlevé ma valve aortique pour la remplacer.
Comme j’étais à la puberté et en poussée de croissance, on a décidé de m’installer une valve pour adulte. Par ailleurs, on a choisi une valve mécanique plutôt qu’une valve tissulaire. En rétrospective, j’en suis très reconnaissant parce que cette valve dure depuis plus de 35 ans.
Qu’est-ce que votre remplacement valvulaire a changé?
C’est à ce moment que ma vie a réellement commencé. J’avais l’impression que toute mon enfance avait été voilée de nuages sombres et qu’après mon remplacement valvulaire, pour la première fois, mes journées étaient ensoleillées. À 14 ans, je pouvais enfin courir, faire de l’exercice, lever des poids et bien plus. C’est aussi là que le garçon avec des problèmes cardiaques est devenu l’homme qui avait des problèmes lorsqu’il était enfant.
Dès lors et à l’âge adulte, la maladie valvulaire vous a-t-elle affecté?
Pas vraiment. Je me suis marié, et ma femme et moi avons eu trois enfants à Ottawa. J’ai aussi établi une carrière en graphisme et marketing.
J’avais toujours rêvé d’apprendre les arts martiaux. Alors, je me suis lancé, malgré l’avis de mon cardiologue – qui redoutait les hémorragies pouvant découler de la prise d’anticoagulants. J’ai finalement obtenu son approbation pour commencer l’entraînement récréatif – non compétitif. « Aucun coup dur ni d’autres risques du genre, m’a-t-il dit. »
Danny portant la ceinture noire qu’il a décrochée aux arts martiaux.
À l’approche de la quarantaine, j’ai commencé à être très essoufflé après une bonne course ou un entraînement. Au début, je pensais que c’était attribuable à ma prise de poids; donc, je me suis poussé.
Maintenant, avec le recul, je suis persuadé que c’était plutôt mon cœur qui causait ce symptôme. Toutefois, à ce moment-là, comme je n’avais eu aucun problème cardiaque depuis plusieurs années, l’idée ne m’a jamais traversé l’esprit.
Ainsi, j’ai commencé à me sentir de moins en moins bien, avec des symptômes s’apparentant à ceux de la grippe. Mon cardiologue m’a prescrit un tomodensitogramme du cœur. Grâce à ce test, on a compris que mon arc aortique – la partie courbée de l’aorte située au-dessus du cœur – s’était drastiquement hypertrophié. Mon aorte pouvait rompre ou se déchirer à tout moment.
On a décidé que j’avais besoin d’une autre chirurgie à cœur ouvert. Le plan était de remplacer mon arc aortique et ma valve mécanique par une seule pièce. La valve fonctionnait toujours très bien, mais c’était logique de la changer en même temps.
C’était votre quatrième chirurgie à cœur ouvert. Comment s’est-elle passée?
Cette chirurgie a eu lieu en avril 2017. J’avais 40 ans.
Au bloc opératoire, les chirurgiens se sont rendu compte que l’arc de mon aorte s’était déjà déchiré. Ils ne savaient pas exactement quand cela s’était produit. Je savais seulement que les jours précédant l’intervention, je ressentais une forte pression à la poitrine, comme si un éléphant y était assis.
L’intervention s’est donc transformée en une course contre la mort. J’ai passé neuf minutes sans sang ni oxygène, et j’en garde des séquelles neurologiques.
On m’a donc implanté un dispositif synthétique pour remplacer mon arc aortique, sans toutefois changer ma valve mécanique.
Comment allez-vous aujourd’hui?
Tout se passe bien. J’ai des rendez-vous de suivi annuels, et la valve de remplacement fonctionne toujours à merveille.
Au moment de son installation, en 1990, la plus longue durée de vie d’une valve mécanique était 12 ans. Alors, je demande chaque année si je peux m’attendre à ce que ma valve dure plus longtemps. On me dit que si je prends bien soin de ma santé, ce type de valves peut durer indéfiniment de nos jours.
Avec ma valve mécanique, je prends des anticoagulants tous les jours, et je dois passer des analyses sanguines tous les mois. Ces médicaments ne m’ont jamais posé problème.
J’ai arrêté les arts martiaux l’an passé, non pas à cause de mon cœur, mais en raison de blessures. Je m’entraîne maintenant avec mes enfants dans une salle de conditionnement physique près de chez moi : je lève des poids et haltères, et je fais de la course. Je reste actif tout en respectant mes limites. Je crois que, tant qu’à avoir la santé, il vaut mieux en profiter.
Comment votre maladie valvulaire a-t-elle affecté vos proches?
Quand j’étais petit, bien sûr, je ne savais pas tout ce que mes parents vivaient. C’est en écrivant mes mémoires, Scar Tissue (en anglais seulement), que j’ai pris conscience de l’expérience bouleversante que vivent les parents de patients cardiaques. Heureusement, mes parents avaient leur foi et une grande communauté de soutien pour les aider à surmonter les épreuves.
Pour ma femme, Carly, et nos enfants, ma dernière chirurgie leur a permis de comprendre ce que j’ai vécu à l’enfance. Je crois que cela a fait en sorte qu’ils m’appréciaient davantage, comme époux et comme père.
Danny et sa femme, Carly, avec leurs trois enfants.
Quels seraient vos conseils pour les personnes qui ont reçu un diagnostic de maladie valvulaire?
Il faut faire valoir et défendre votre santé. J’ai reçu d’excellents soins, mais parfois, il faut prendre les choses en main, surtout si quelque chose cloche.
Aussi, je crois qu’il est important de suivre les conseils des médecins. Si on vous le recommande, suivez un programme de réadaptation cardiaque, marchez tous les jours, faites de l’exercice, adoptez telle alimentation, etc.
Si vous avez de nouveaux symptômes, faites-vous examiner. Vous n’avez peut-être rien de grave, mais laissez votre prestataire de soins vous le dire. Plusieurs fois, j’ai eu l’impression d’être le garçon qui criait au loup, et c’est correct. Dès que quelque chose n’allait pas, je consultais en cardiologie : on me faisait passer des tests, puis on me disait que je n’avais rien.
Finalement, je vous suggère de vous entourer de personnes qui peuvent vous aider et d’accepter leur aide.
Ce n’est pas toujours facile. Après ma plus récente chirurgie, des gens venaient à la maison pour accomplir des tâches. J’ai eu de la difficulté à l’accepter, mais nous en avions besoin.
La composition de cette communauté de soutien dépend de qui vous êtes. Pour moi, elle comprenait mon dojo, ma famille et notre paroisse. Peu importe à quoi ressemble ce groupe, vous avez besoin de personnes prêtes à vous soutenir et vous aider de quelques façons que ce soit.
De quelle façon redonnez-vous au suivant?
C’est ce qui m’a réellement motivé à partager mon histoire – à donner de l’espoir. Comme l’a dit Brene Brown : « Un jour, vous raconterez comment vous avez surmonté l’épreuve que vous vivez en ce moment, et votre histoire fera partie du guide de survie d’une autre personne. »
Lorsque je vais à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa pour des suivis ou des tests, je retourne toujours à mon ancienne chambre pour parler avec la personne qui s’y trouve. Je lui lance souvent à la blague : « Hé! Vous êtes dans mon lit. »
Puis, je lui demande pourquoi elle est à l’hôpital. Je lui raconte mon expérience d’il y a huit ans. « J’ai passé à travers cette épreuve, et je vais super bien maintenant. Ce sera pareil pour vous. »
Plus concrètement, quand quelqu’un a un problème de santé, je ne demande pas ce que je peux faire pour l’aider : je trouve quelque chose à faire. Ça peut être aussi simple que de préparer un repas ou de tondre la pelouse. Souvent, ce que je fais, c’est payer le stationnement de l’hôpital à la famille pour faciliter les visites. Ça n’a pas besoin d’être grand-chose; de petits gestes suffisent.
Qu’avez-vous appris durant votre long parcours avec une maladie valvulaire?
Certaines personnes ne seraient pas d’accord, mais je crois qu’il y a une raison pour laquelle ça m’est arrivé. S’il y a un sens à mon expérience, je peux en tirer des leçons et évoluer.
L’une des choses que j’ai apprises est de ralentir. Rien n’est certain, donc profitez de ce que vous avez et soyez-en reconnaissant(e). Dans ma famille, nous essayons de passer le plus de temps possible ensemble : le temps est précieux, car il nous est limité.
Je ne souhaite à personne de vivre ce que j’ai vécu, mais en y repensant, je suis reconnaissant de cette épreuve parce que, maintenant, je peux m’impliquer et aider les autres.